Articles et conférences

Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2001, n° 4 (octobre-décembre), Paris, PUF. Article republié dans la revue Adolescence, n° 39, printemps 2002, Paris, GREUPP. Trad. japonaise (d’une version modifiée) dans Les Etudes Lacaniennes, n° 3, Tokyo, 2004

L’Autre, le sexe et le savoir philosophique(1)

La pensée philosophique de Lévinas et la psychanalyse introduite par Freud et reprise par Lacan se rejoignent en ceci qu’elles ont donné une place centrale à la relation à l’autre homme. Et non pas à l’autre homme comme alter ego, autre moi avec lequel je suis en relation de comparaison, d’entraide, de sympathie ou de rivalité. Mais à l’autre homme comme Autre radicalement Autre, qui surgit dans une rencontre traumatique, qui fait s’effondrer l’identité que j’avais par-devers moi, et duquel je reçois ce que j’ai à être, fût-ce, comme le dit Lévinas, à « autrement qu’être ».

Mais, pour Lévinas, il faut, à cet Autre qui surgit comme visage, toujours plus se rapporter comme Autre vrai dont on est l’otage, le vouloir infiniment. Alors que, pour la psychanalyse, il faut au contraire accepter le refus qu’on oppose à cet Autre et à son visage, refus qui, fondamentalement, est meurtre, et qui se marque dans le sexe ; à partir de quoi on aura sans doute à recréer l’Autre, le visage de l’Autre, mais d’une re-création qui ne sera jamais, et qui ne doit pas être, une exigence infinie.

Doit-on cependant récuser la conception de Lévinas au nom de la psychanalyse ? N’y a-t-il pas, même avec la psychanalyse, une portée définitive pour cette conception ?

Je dirai ceci. La psychanalyse engage à recréer l’Autre. Mais la mesure dans laquelle doit se faire cette re-création de l’Autre, cette réouverture à l’Autre, est l’affaire de la philosophie — et même du savoir philosophique. Or la philosophie, pour s’accomplir comme savoir (je dis cela avec la psychanalyse, au-delà de Lévinas, même si c’est pour y retourner), suppose l’accueil de l’objection de tout Autre, l’ouverture, d’une certaine manière infinie, à l’Autre comme visage.

D’où mon titre et les trois parties de mon propos.

D’abord l’Autre, où j’indiquerai la portée historique de la position de Lévinas et les questions qu’elle suscite.

Ensuite le sexe, où je suivrai la psychanalyse, qui permettra d’apporter des réponses à ces questions.

Enfin le savoir philosophique, où je préciserai en quoi la relation à l’autre homme peut recevoir alors sa mesure. Savoir dont je dirai qu’il est pour moi, à sa manière, spéculative et philosophique, et non pas mythique et religieuse, l’Etoile de la rédemption (je pense ici à Franz Rosenzweig), l’Etoile à six branches, l’Etoile de David.

Je commencerai par l’Autre, puisque tel est notre thème de départ.

  1. D’abord l’Autre absolu. Car affirmer l’Autre, c’est toujours d’abord l’affirmer comme Autre absolu, même si l’Autre fini, l’Autre humain est alors supposé.
    1. L’affirmation de l’Autre absolu est ce que propose la pensée contemporaine comme pensée de l’existence — mais cette pensée se voue alors à une contradiction qui devra éclater.
      1. C’est Kierkegaard le premier qui a affirmé l’Autre comme tel. Et cela, en s’opposant à Hegel et à toute la tradition métaphysique et en affirmant l’existence, la vérité de l’existence. Or une telle vérité de l’existence suppose ceci : d’une part, que la contradiction caractéristique de l’existence ne peut se résoudre par soi, comme le voulait Hegel, en rentrant en soi, en retrouvant au fond de soi une identité toujours déjà là que le savoir ne ferait que déployer, mais par l’Autre surgissant imprévisiblement, au-delà de tout savoir ; d’autre part, que l’homme, le fini, toujours d’abord refuse cette existence vers l’Autre ; enfin, qu’il ne peut être arraché à ce refus qui, d’une manière ou d’une autre, demeurera, et être libéré pour une acceptation de l’existence, que par un Autre absolument Autre, au-delà de tout l’ordre humain. C’est tout cela, existence essentielle, finitude radicale de l’humain, relation constitutive à un Autre absolu (Dieu pour Kierkegaard), qui sera porté, au-delà même de Kierkegaard, par toute la pensée contemporaine.
      2. Mais une contradiction est alors impliquée. Car certes une identité nouvelle est donnée par l’Autre absolu au fini, au-delà de l’identité illusoire dans laquelle celui-ci s’était d’abord enfermé. Identité nouvelle et vraie, existante, qui fait, de l’autre homme, un Autre vrai, pour le sujet humain. Mais Kierkegaard exclut qu’une telle identité puisse se poser comme telle et devenir le principe d’un savoir nouveau : ce serait, selon lui, se fermer à nouveau sur soi, refuser à nouveau l’existence. Et, du même mouvement par lequel il rejette tout savoir philosophique (Kierkegaard, bien plus, ne se voulait pas philosophe et se disait parti du seul message chrétien), il en vient donc à taire l’altérité de l’autre homme. D’où la critique, contre Kierkegaard, de Lévinas. Qui se réclame lui aussi de l’ »idée forte de l’existence que la pensée européenne doit à Kierkegaard »(2). Qui loue Kierkegaard d’avoir présenté le divin comme « vérité persécutée », « bafouée ». Mais qui lui reproche d’en être resté à la relation à l’Autre absolu : « La vérité qui souffre n’ouvre pas à l’homme les autres hommes, mais Dieu dans la solitude »(3).
    2. La contradiction éclate quand la philosophie reconnaît comme son bien, son objet, l’existence ainsi proclamée (par Kierkegaard, mais aussi par tout le monde historique de cette époque). Quand elle s’y découvre elle-même dans sa dimension historique propre. Et quand elle se décide à poser comme telle l’identité (et autonomie) nouvelle, existante, créatrice — laquelle pourrait être le principe d’un savoir nouveau.
      1. C’est dans cette position de l’autonomie existante et créatrice que s’engagent Marx, Nietzsche et Husserl qui décrivent bien, chacun à sa manière, la finitude radicale. Ainsi Marx et l’aliénation fondamentale dont seul un acte imprévisible (la Révolution) peut libérer ; Nietzsche et la volonté de puissance, avec son constitutif « esprit de vengeance » qu’il faudra sublimer dans une répétition créatrice ; Husserl enfin et l’épochè arrachant à l’attitude naturelle. Marx, Nietzsche et Husserl qui supposent même, pour l’autonomie créatrice qu’ils proclament, ce que nous présenterons comme les conditions venues de l’Autre absolu et sans lesquelles cette autonomie, avec le savoir nouveau vers lequel elle dirige, ne pourrait être universellement reconnue. Ainsi Marx pour la grâce, car il veut que cette autonomie soit accueillie par tous ; Nietzsche pour l’élection, car il sait que cette autonomie ne pourra être accueillie explicitement que par certains ; Husserl enfin pour la foi, car il pressent que cette autonomie ne pourra être accueillie de tous, fût-ce implicitement, que par ce qui viendra de l’Autre absolu.
      2. Mais la contradiction éclate. Car poser l’autonomie existante et créatrice (celle de l’individu après la Révolution pour Marx, celle du surhomme pour Nietzsche, celle de la conscience constituante pour Husserl), c’est d’abord, pour le sujet fini, rejeter en fait toute finitude radicale et toute relation à l’Autre absolu. Et ce qui est alors proposé ne peut conduire qu’à l’échec (pas de reconnaissance universelle, catastrophes politiques diverses). D’où, par exemple, la critique de Lévinas contre Husserl, auquel il se sait pourtant, et se dit, redevable de tant de choses. Husserl dont l' »intentionalité », dit-il, « demeure aspiration à combler et remplissement, mouvement centripète d’une conscience qui coïncide avec soi »(4). Et dont la « proto-impression » même, en-deçà de l’intentionalité, « ne mène pas en deçà du Même, ni en deçà de l’origine. Rien ne s’introduit incognito dans le Même pour interrompre la fluence du temps et la conscience qui se produit sous les espèces de cette fluence »(5).
    3. La contradiction est alors reconnue et résolue par la philosophie. Mais d’une solution qui ne pourra pas nous satisfaire, parce qu’elle emporte la philosophie elle-même, et que, de toute façon, elle ne permet pas l’affirmation de l’Autre comme tel.
      1. C’est Heidegger qui propose cette solution. Heidegger part lui aussi, comme Marx, Nietzsche et Husserl, de la philosophie elle-même. Et précisément de la philosophie comme question de l’être, à la répétition expresse de laquelle il appelle au début d’Etre et temps. Et alors Heidegger vise bien d’abord lui-même, par une méthode absolument rationnelle (la phénoménologie), le savoir vrai (l’ontologie). Mais il retrouve, dans sa phénoménologie, tout ce qui avait été dégagé par Kierkegaard. L’existence. La finitude radicale (non-vérité sous ses formes diverses). Et enfin l’Autre absolu. Car l’être, posé d’abord comme l’identité originelle, objet par excellence du savoir, se découvre comme l’Autre absolu qui vient, dans la conscience, appeler le fini, le Dasein, à se rapporter authentiquement à son existence. Et Heidegger reconnaît certes l’identité vraie à quoi accède alors le fini, et montre certes, dans le Mit-sein, la relation à l’autre fini, à l’autre Dasein, comme relation à l’Autre vrai. Mais, au nom de la relation primordiale à l’Autre absolu (être, et finalement plutôt Ereignis, comme il dit, l’être étant trop lié au savoir), il en vient, dénonçant le subjectivisme de Marx, Nietzsche et Husserl, à rejeter la philosophie elle-même, trop marquée par la volonté de savoir et de raison, et à la remplacer par la seule pensée.
      2. Mais alors ce qui reste pour Heidegger, c’est, poésie ou pensée, poésie qui chante ou poésie qui pense, la relation avec l’Autre absolu comme le sacré, lieu premier de la parole. Un Autre absolu qui est bien, en soi, Autre absolu vrai, se rapportant lui-même à l’homme comme à son Autre. Mais un Autre absolu qui ne peut plus s’opposer, comme vrai, à l’Autre absolu faux de la superstition traditionnelle — qui ne peut s’y opposer ni comme Dieu de la Révélation, ni comme Dieu absolument rationnel. Et l’altérité en fait se perd.
  2. Maintenant l’Autre fini. Car l’Autre absolu n’est affirmé dans sa vérité, et ne se distingue de la figure qu’il prend dans les religions superstitieuses traditionnelles, l’altérité en général n’est réellement dégagée, que si l’Autre fini lui aussi est affirmé.
    1. L’affirmation de l’Autre fini est ce que tente la pensée de l’existence à son extrême (précisément Lévinas) — mais là aussi une contradiction est impliquée, qui devra apparaître.
      1. C’est expressément contre Heidegger que Lévinas avance son affirmation de l’Autre fini, de l’autre homme, du prochain. Ainsi quand il dit, au début de Totalité et infini : « Le primat de l’ontologie heideggérienne ne repose pas sur le truisme : “ pour connaître l’étant, il faut avoir compris l’être de l’étant. Affirmer la priorité de l’être par rapport à l’étant, c’est subordonner la relation avec quelqu’un qui est un étant (la relation éthique) à une relation avec l’être de l’étant qui, impersonnel, permet la saisie, la domination de l’étant (à une relation de savoir), subordonner la justice à la liberté ». Et plus loin : « Au dévoilement de l’être en général, comme base de la connaissance et comme sens de l’être, préexiste la relation à l’étant qui s’exprime ; au plan de l’ontologie, le plan éthique »(6). Or « l’étant par excellence, dit-il aussi, c’est l’homme »(7). Certes Lévinas sait bien l’importance décisive de Heidegger (« Un homme qui, au XX° siècle, entreprend de philosopher ne peut pas, dit-il, ne pas avoir traversé la philosophie de Heidegger, même pour en sortir. Cette pensée est un grand événement de notre siècle »(8)). Certes Lévinas a tort (tort consciemment) contre la lettre de Heidegger, quand il fixe Heidegger à sa visée initiale d’une ontologie, quand il refuse de voir la relation entre l’être et l’étant chez Heidegger comme altérité pure, et quand il préfère parler d' »amphibologie de l’être et de l’étant »(9) — et de même quand il soutient que la relation à l’autre homme se réduit, pour Heidegger, à celle d’une « collectivité de camarades »(10). Mais Lévinas a, du point de vue de la philosophie, raison contre les conséquences du propos heideggérien confortant l’ordre traditionnel-mythologique et sa violence. Raison d’en appeler, contre cette violence, à la violence douce de la bonté qui « détruit sans transporter dans des musées les autels érigés aux idoles du passé pour des sacrifices sanglants », qui « brûle les bosquets sacrés où se répercutent les échos du passé »(11). Raison de dénoncer dans le sacré heideggérien l' »éternelle séduction du paganisme »(12). L’Infini (l’Autre absolu) selon Lévinas n’est pas l’être ou l’Ereignis heideggérien ; il veut expressément n’être rencontré qu’en l’Autre humain, dans le visage de l’autre homme ; il est l' »Absent absolument révolu »(13) dans la trace duquel est ce visage. Et Lévinas parle — pour l’accueil de ce visage surgissant dans la proximité, et nous arrachant à la jouissance dans laquelle nous nous étions installés, pour l’accueil de ce visage qui s’exprime — de substitution où nous nous effaçons nous-mêmes pour laisser venir la signifiance de l’Autre. De responsabilité où nous répondons, par notre Dire, au Dire de l’Autre.
      2. Mais une contradiction est alors impliquée. Car Lévinas, dans le prolongement de cet accueil du visage, de cette substitution, de cette responsabilité, et précisément pour donner place socialement, dans un monde juste, à l’Autre fini comme visage, en vient alors à parler à nouveau, toujours contre Heidegger, de savoir (« Il faut suivre la naissance latente du savoir dans la proximité »). De raison (« Raison, comme l’un-pour-l’autre »(14), s’exclame-t-il). Et finalement de philosophie. Qui certes, comme Dit, ne peut éviter de trahir le Dire. Mais qui a en propre, comme philosophie, comme discours philosophique, de travailler sans cesse à réduire cette trahison, d’accueillir sans cesse l’objection de l’Autre, l’objection qu’est l’Autre. Or comment affirmer le savoir et la raison, la philosophie, sans contredire l’altérité pure de l’Autre fini ?
    2. Cette contradiction surgit chez Lévinas lui-même, quand la philosophie en vient à se demander si elle peut se poser comme savoir effectif.
      1. Car le savoir est bien, en soi, pour Lévinas, savoir rationnel pur, posé comme tel à partir du principe. Lévinas évoque un tel principe. Par exemple quand il affirme, contre l' »anarchie du spectacle » que donne d’abord le monde : « L’ambivalence de l’apparition est surmontée par l’expression, présentation d’Autrui à moi, événement originel de la signification. Autrui est principe du phénomène »(15). Et le sujet lui-même, répondant, dans sa responsabilité, à la parole, au Dire de cet Autre, devrait pouvoir être lui aussi un tel principe. C’est ce qu’évoque Lévinas quand il dit que « La raison est cherchée dans le rapport entre des termes, entre l’un et l’autre se montrant dans un thème. La raison consiste à assurer la co-existence de ces termes, sans faire éclater le présent où se tient le thème », et quand il ajoute : « Le présent du thème est corrélatif d’un sujet qui est conscience et dont la subjectivité même consiste à rendre présent »(16). Lévinas devrait donc affirmer le savoir philosophique comme savoir effectif.
      2. Mais la contradiction surgit. Car Lévinas considère que se poser soi, et même poser l’Autre, fût-ce l’Autre absolu, l’Infini, comme un tel principe, c’est contredire l’ouverture pure à tout Autre. Et il préfère finalement parler d' »an-archie ». Une anarchie que l’Infini lui-même, s’effaçant, s’absentant (« L’Absent absolument révolu »), ne laissant que des traces, veut, pour que la créature aille jusqu’au bout de sa constitutive responsabilité et reconstitue à neuf le sens. Une anarchie que tout Autre impose au sujet, rompant sa conscience (« L’anarchie arrête le jeu ontologique qui, précisément en tant que jeu, est conscience où l’être se perd et se retrouve. L’emprise de l’Autre s’exerce sur le Même au point de l’interrompre, de le laisser sans parole. L’anarchie est persécution »(17)). Certes Lévinas sait et veut le Dit de la philosophie comme visant toujours un principe, fût-ce l’anarchie comme principe. Mais il a l’idée que la philosophie a en propre de laisser place, au-delà de son Dire, au Dédire imprévisible (« Faut-il rappeler l’alternance et la diachronie comme temps de la philosophie? »(18)). Contradiction laissée pure. Pas de savoir philosophique qui puisse être posé comme tel.
    3. Cette contradiction cependant doit être résolue, et cela dans ce qui serait un effectif savoir philosophique, posé comme tel par le sujet.
      1. C’est l’exigence que j’avance contre Lévinas. Car lui-même, en excluant tout savoir philosophique qui se poserait comme tel, comme savoir effectif, effectivement reconnu, ne retombe-t-il pas dans ce qu’il reproche à si juste titre à Heidegger ? Lui aussi ne conforte-t-il pas l’ordre traditionnel sacrificiel, qui est garanti par un prétendu savoir ? Il faut donc, pour l’Autre fini, et pour témoigner de l’Autre absolu vrai lui-même, un effectif savoir nouveau, philosophique. Un savoir qui soit effectivement reconnu dans le monde social et qui ordonne ce monde comme monde juste. Un savoir qui ne soutiendra certes pas qu’on doit se rapporter infiniment à l’autre sujet comme Autre vrai, comme le voulait Lévinas — ce serait, on l’a vu, être voué à une contradiction indépassable. Mais un savoir qui donnera à l’Autre fini toute la place qu’il doit avoir.
      2. Un tel savoir philosophique sera savoir de l’existence. Savoir à la fois de l’altérité en tant qu’elle fait s’effondrer l’identité illusoire dans laquelle s’enferme d’abord le sujet ; et en même temps savoir de l’identité vraie que cette altérité suppose, et qui devient principe du savoir. Savoir où l' »autrement qu’être » proclamé par Lévinas (comme l’Ereignis de Heidegger) apparaîtra comme un simple moment de l’être vrai. C’est un tel savoir que j’ai voulu commencer de proposer dans l’ouvrage paru récemment en trois volumes sous le titre La philosophie comme savoir de l’existence (19), titre qui est en fait celui de l’entreprise générale dont ces trois volumes ne constituent que le premier livre.

Je poursuivrai par le sexe, puisqu’il est, selon moi, ce qui rend concevable le savoir philosophique, requis par l’Autre et pour l’Autre, comme nous venons de le voir. Sexe qui est, à la fois, la finitude du fini — finitude qui ne doit pas être oubliée —, et la vérité à laquelle le fini peut être élevé — vérité qui le fera Autre vrai, autant qu’il doit l’être.

  1. D’abord la finitude du sexe. Car c’est la psychanalyse qui introduit la vérité du sexe, mais elle ne peut que la supposer, et non pas l’affirmer comme telle. Prétendant l’affirmer, elle la perdrait, parce qu’elle perdrait alors la finitude primordiale du sexe, seule chose qu’elle puisse affirmer.
    1. L’affirmation de la finitude du sexe est ce que propose la psychanalyse — mais cette affirmation (comme celle de l’Autre absolu, et celle de l’Autre fini) implique une contradiction qui devra apparaître.
      1. C’est Freud qui introduit la finitude radicale du sexe, du seul fait qu’il affirme l’inconscient. Car l’inconscient est avant tout, pour lui, le refoulé. Mais le refoulement lui-même, et non pas seulement le refoulé, doit alors relever de l’inconscient ; sans quoi on tomberait sous le coup de l’objection de Sartre. Et ce refoulement, effectué au nom de l’image de soi que veut donner le sujet, n’est autre qu’un des modes du refus de l’existence, du refus de l’effacement de soi (que suppose l’ex-sistence vers l’Autre), refus que nous avons présenté justement comme finitude radicale. Or Freud détermine cette finitude radicale impliquée par l’inconscient comme sexualité. Cette finitude, en effet, tient à l’Autre dont on veut se faire aimer. Et elle est réduction de cet Autre à l’objet de la pulsion, à une « petite chose détachée du corps », soumission de cet Autre à l’ordre du principe de plaisir et, finalement, de la pulsion de mort.
      2. Mais une contradiction est alors impliquée. Car très justement Freud a rejeté, pour l’introduction de l’inconscient, le discours philosophique où une vérité est affirmée (une telle position de discours aurait conforté la souveraineté illusoire de la conscience), et il a tenu son propos dans le discours de la science (lequel est bien le discours de la thérapeutique, celui dans lequel s’établit le sujet quand il veut être délivré d’une souffrance). Mais un tel discours, qui ne pose aucune vérité, ne peut non plus poser aucune finitude radicale, et en fait la contredit. Il se fonde lui aussi sur l’évidence illusoire d’une maîtrise par la conscience qui sait, d’une suffisance du moi poursuivant son bien, en l’occurrence son utilité. D’où la critique de Lévinas contre une certaine psychanalyse (et précisément celle de Freud) : « Il ne s’agit pas ici, lit-on dans la note de la p. 130 d’Autrement qu’être, de descendre vers l’inconscient qui, défini d’une façon purement négative par rapport au conscient, conserve la structure du savoir de soi ; inconscient qui reste jeu de la conscience dont l’Analyse entend assurer l’aboutissement ­— contre les troubles qui lui viennent des désirs refoulés — au nom des règles même de ce jeu ».
    2. La contradiction vient au jour dans la psychanalyse elle-même quand celle-ci veut établir objectivement son objet, récusé en fait par la science.
      1. C’est une telle justification de l’hypothèse freudienne que propose Lacan, et il doit alors reconnaître la relation essentielle de l’inconscient introduit par Freud et de l’existence proclamée par la pensée philosophique contemporaine. De là, outre Heidegger, sa référence à Kierkegaard. « C’est d’une exténuation philosophique traditionnelle, dont le sommet est donné par Hegel, dit-il ainsi, que quelque chose a rejailli sous le nom d’un nommé Kierkegaard. Vous savez que j’ai dénoncé, comme convergente à l’expérience bien plus tard apparue d’un Freud, sa promotion de l’existence comme telle »(20). Car l’inconscient pour Lacan trouve son objectivité dans le langage. Mais non pas dans le langage tel que le détermine le discours de la science. Bien plutôt dans le langage comme Autre absolument Autre par rapport auquel le sujet éprouve sa finitude radicale. Autre absolu, reconnu, mais non pas connu, dit Lacan. Autre dont le surgissement est traumatisme. Autre qui introduit alors, au-delà de la jouissance, le désir (cf. la formule : « Le désir vient de l’Autre, et la jouissance est du côté de la Chose »(21)). Autre que le sujet devra certes s’approprier, par la métaphore, par la substitution métaphorique. Et la finitude radicale alors éprouvée par le sujet est bien pour Lacan sexualité (cf. son affirmation que « la réalité de l’inconscient est — vérité insoutenable — la réalité sexuelle », insoutenable parce que « la pulsion, à la fois, présentifie la sexualité dans l’inconscient et représente, dans son essence, la mort »(22)). Et Lévinas cette fois-ci se retrouverait dans la psychanalyse. D’où, sans parler de ce qu’il a pu avancer lui-même du traumatisme ou de l’opposition entre jouissance et désir, la note très explicite de la p. 158 d’Autrement qu’être : « C’est là le sens de l’inconscient, nuit où se fait le retournement de moi en soi sous le traumatisme de la persécution — passivité plus passive que toute passivité, responsabilité, substitution ».
      2. Mais la contradiction vient au jour. Car l’affirmation de la vérité de l’inconscient et, à partir de là, de la finitude du sexe, s’effectue dans le discours. Et le discours en tant que raison ne saurait, pour Lacan, passer au sujet fini, mais au contraire participe du rejet sacrificiel de la sexualité par elle-même. Rejet qui la caractérise comme libido, comme illusoire pulsion de vie, comme mythique complémentarité des sexes, et qui débouche dans le sacrifice. Rejet que Lacan dénonce au nom de la psychanalyse, et notamment quand ce rejet devient, dans le monde contemporain, retour au paganisme, suprêmement sous la forme absolue de l’Holocauste. Ainsi quand, à l’extrême fin du séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il dit du « drame du nazisme » qu’il est « cette résurgencepar quoi il s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture »(23). Là aussi certes Lévinas se retrouverait.
    3. La contradiction est alors reconnue et résolue par la psychanalyse, mais d’une solution qui ne peut satisfaire, ni la philosophie, ni même la psychanalyse.
      1. Car si, pour Lacan, le discours psychanalytique, celui qui dit l’inconscient, peut arracher à cette fascination, c’est parce que ce discours oppose, à l' »effet de fascination », son « effet de sens », son sens. Sens qui se caractérise comme consistance, consistance du « dire »(24). Lacan parle alors, pour cette consistance, du nœud borroméen où il rejoint, avec l’inconscient certes, le ternaire absolu de Hegel. Sens qui est une raison (« une nouvelle raison ») et qui permet au discours psychanalytique de montrer l’inconsistance des autres discours, fascinateurs. Mais si, pour Lacan, le discours psychanalytique peut arracher à la fascination, libérer celui qui le reçoit, c’est ultimement parce que ce discours ne pose pas sa raison comme telle, parce que le psychanalyste ne se donne que comme non-savoir, déchet, comme, selon sa formule, « objet a « . Lacan exclut donc toujours le discours philosophique, où la raison se poserait comme telle. Ce qu’exprime très clairement la célèbre théorie des quatre discours. Où les autres discours fondamentaux que celui de la psychanalyse peuvent avoir une réalité (et une fonction) sociale. Mais où ces discours (dont celui de la philosophie) ne font passer aucune vérité à ceux auxquels ils sont adressés, entretenant simplement la soumission fascinatoire selon tel ou tel mode.
      2. Mais cette solution ne peut satisfaire, ni certes la philosophie, ni même la psychanalyse. Car Lacan sait bien que le monde social ordinaire tend sans cesse à rejeter, sacrificiellement, cette pratique étrange qu’est la psychanalyse, et le discours qui l’institue. Il sait bien que même « le psychanalyste a horreur de son acte »(25). Il devrait donc reconnaître qu’il faut, pour la psychanalyse, un discours qui la garantisse politiquement comme pratique laissant le sujet advenir à son être d’Autre vrai. Un discours qui non seulement soit raison vraie et existante, mais qui pose comme telle cette raison et affirme la justice. Un discours philosophique, déployant un savoir lui-même philosophique. Et cependant, de son point de vue, celui du discours psychanalytique, Lacan ne peut qu’exclure pareil discours et pareil savoir. Et lui qui avait rejoint Lévinas dans sa dénonciation de tout retour au paganisme, il le rejoint aussi dans la même vanité de cette dénonciation.
  2. Ensuite la vérité du sexe. Car, si la finitude du sexe a sens pour nous, c’est du fait de la vérité à laquelle le sexe comme finitude peut être élevé. Et cela notamment dans la psychanalyse elle-même. Mais celle-ci ne peut poser comme telle cette vérité. Ce qui revient à la philosophie.
    1. L’affirmation de la vérité du sexe est en effet ce que propose la philosophie quand elle reprend l’inconscient — mais là encore une contradiction est impliquée, qui apparaîtra et devra être résolue.
      1. C’est qu’il y a, du point de vue de la philosophie qui est le nôtre, une vérité du sexe, une vérité à donner au sexe, vérité qui est même, aux yeux de la philosophie, ce qui permet à la psychanalyse d’être reconnue comme savoir, et que la philosophie devra retrouver en elle-même. Car si le discours psychanalytique passe comme vrai au fini, ce n’est pas seulement parce que l’analyste, taisant sa raison, occupe la place de l’objet sexuel comme déchet. C’est avant tout parce qu’il veut et reveut de manière absolument libre cet être de déchet. Et cela, pour libérer le patient d’une loi devenue fausse, et que lui-même, l’analyste, s’est mis à représenter, et pour faire du patient l’Autre vrai, lieu de la vraie loi. Cf. Lacan, quand il dit : « C’est de cette idéalisation que l’analyste a à déchoir pour être le support de l' »a » [l’objet « a »] séparateur, dans la mesure où son désir lui permet, dans une hypnose à l’envers, d’incarner, lui, l’hypnotisé »(26). Le psychanalyste ne devient certes pas, à son tour, l’hypnotisé. Il n’y a pas renversement de la relation. Bien plutôt fait-il comme le saint, Lacan le dit ailleurs (« On ne saurait mieux le situer objectivement que de ce qui dans le passé s’est appelé : être un saint. Un saint, pour me faire comprendre, ne fait pas la charité. Plutôt se met-il à faire le déchet : il dé-charite »(27)). Et la vérité alors donnée au sexe est grâce. C’est ce que souligne Lacan lui-même (« La mesure dans laquelle le christianisme nous intéresse, j’entends au niveau de la théorie, se résume au rôle donné à la grâce. Qui ne voit que la grâce a le plus étroit rapport avec ce que moi, partant de fonctions théoriques qui n’ont certes rien à faire avec les effusions du cœur, je désigne comme le désir de l’Autre ? »(28)). Grâce dont j’ai beaucoup parlé dans La philosophie comme savoir de l’existence — permettez-moi d’y renvoyer.
      2. Mais une contradiction est alors impliquée. Car la grâce a certes à être communiquée, sans quoi elle se fausse, mais elle a en propre de n’appeler expressément à rien celui qui la reçoit, et le sujet tend d’abord inévitablement à s’arrêter à une idée fausse de la grâce, que certains auraient, auraient reçue par faveur, tandis que d’autres seraient voués à la disgrâce. Et Lévinas, qui suppose la grâce quand il dit de la « position de la subjectivité » qu’elle est « dé-position »(29) de soi, et qui la suppose aussi sous le nom, moins « chrétien », de gratuité, et qui parle en fait partout de la grâce, de la grâce essentielle que nous avons évoquée, Lévinas dénonce à tout à fait juste titre la falsification inévitable dans quoi elle est entraînée. Ainsi quand il s’oppose à la « logique chrétienne de la grâce », selon laquelle « l’erreur aurait besoin d’un secours extérieur » et qui oublierait que « la faute ne peut se réparer que du dedans ». Ou quand il dit, du « pharisien », qu' »à l’idée de la grâce qui inspire, il oppose le labeur des question qui surgissent, plus fécondes après chaque solution »(30).
    2. La contradiction éclate quand la philosophie, reprenant l’inconscient, en vient à poser comme telle la vérité du sexe.
      1. Qu’est-ce en effet que la vérité alors donnée au sexe ? Une vérité à quoi est élevé l’homme comme être radicalement fini, et qui le fait Autre vrai. Une vérité qui est certes primordialement donnée par l’Autre absolu au fini en général. Et qui devra finalement être donnée par le fini à tout autre sujet fini (et qui l’est notamment par l’analyste au patient). Mais qui, pour le sujet dans son histoire, est d’abord donnée par la mère, par la femme comme mère, au fils, à l’homme comme fils ; le fils ayant certes à rendre cette grâce, à « rendre grâces », à quiconque pourra représenter la mère, à la femme comme fille ; et le fils devenant alors lui-même représentant de l’Autre absolu, l’homme comme père. Vérité du sexe dans la différence des sexes qui est alors aussi, au-delà de toute illusion de complémentarité, leur in-différence. C’est cette vérité du sexe que dit à sa manière Lacan dans les formules qu’il propose pour la sexuation lors de son séminaire Encore (cf. le § 49, « L’homme et la femme », de mon livre sur Lacan(31)). Et c’est cette même vérité du sexe qu’on trouve aussi chez Lévinas, pour qui la sexualité est la « pluralité même de notre exister »(32). Car le sujet, qui a, pour Lévinas, à se justifier devant l’autre sujet, et à lui montrer qu’il s’est bien rapporté à lui comme Autre vrai et visage, échoue toujours dans cette entreprise, du fait de la finitude radicale, la sienne propre et celle des autres. Et il ne peut, par lui-même, assumer pareille finitude — il doit toujours plus exiger de soi de se rapporter à l’autre sujet comme Autre vrai. Il faut donc que cette assomption de la finitude — assomption où la subjectivité « puisse renoncer d’elle-même à soi, y renoncer sans violence, arrêter de soi l’apologie, ce qui ne serait pas un suicide, ni une résignation, mais l’amour »(33) — se produise d’abord en l’Autre. Or l’Autre fini qui assume ainsi primordialement, par amour, la finitude, est alors, pour le sujet constitutivement masculin, le féminin même ; et la finitude qu’il assume n’est autre que la sexualité. Féminin comme visage et en même temps non-visage, faiblesse et en même temps « ultramatérialité exorbitante »(34), signifiance et en même temps non-signifiance. Et le féminin qui donne sa grâce au masculin comme à son Autre l’entraîne alors à lui rendre pareille grâce et pareille acceptation de la finitude. D’une finitude où certes devra à un moment s’effacer toute relation à l’Autre vrai dans le présent — c’est l’instant de la volupté — , et où cependant, selon Lévinas, elle réapparaîtra aussitôt, tournée vers l’Autre à venir, l’enfant. Vérité donc du sexe, pour Lévinas.
      2. Mais la contradiction éclate. Car la vérité doit être donnée au sexe avec toute sa finitude radicale qui est celle de la relation de fascination. Relation de fascination où le sujet, restant clos sur soi, rejette l’Autre comme tel, et notamment le visage de cet Autre, et ne se rapporte plus qu’à son masque d’Autre faux, à la fois fascinant et terrifiant, dont il se fait le déchet — pulsion de mort, fond de la sexualité. Et la vérité est alors donnée au sexe par l’Autre qui, dans sa grâce, se défait du masque, reconnaît sa propre finitude et pose le sujet comme Autre vrai. Mais, d’une part, cette vérité n’est réellement reçue que pour autant que celui qui la reçoit se fait lui-même masque. C’est comme masque qu’il pourra sortir de soi et être l’Autre pour tout autre sujet fini, d’abord pris dans la relation de fascination. Masque et non pas, d’un coup, visage : nulle vérité ne pourra être atteinte par le sujet, sinon comme accomplissement de ce masque qu’il s’est forgé. Et, d’autre part, la vérité n’est alors réellement donnée que pour autant que celui qui la donne n’oublie pas sa propre finitude radicale, et ne prétend pas devoir donner infiniment, devoir se rapporter infiniment au sujet comme Autre vrai. Ce serait, pour celui qui donne, retomber dans la fascination, devant le sujet comme Autre faux dont il serait le déchet, l' »otage ». Alors qu’il lui faudrait plutôt attendre du sujet qu’il fasse quelque chose de la grâce reçue et donne à son tour. Or c’est à un tel don infini d’otage qu’appelle Lévinas. Don infini à quoi certes nous devons, au nom de la psychanalyse, nous opposer, en notant que déjà même dans la conception lévinassienne de la sexualité la réalité de pulsion de mort risque d’être oubliée. Lévinas entraîné dans la contradiction de la grâce que lui-même avait dénoncée !
    3. Cette contradiction doit être reconnue et résolue. Et elle l’est, quand la philosophie se décide à trouver pour elle-même une grâce semblable à celle que dispense la psychanalyse, et qui permet à celle-ci d’être reconnue comme savoir.
      1. Car la philosophie a en elle une semblable grâce. Non pas certes la grâce de la psychanalyse qui, taisant sa raison, s’efface comme savoir. Grâce faite au sujet individuel. Mais une grâce par laquelle la philosophie, posant sa raison, s’efface comme pouvoir. Grâce faite au sujet social. Et précisément à tous les discours fondamentaux dans lesquels le sujet en vient, comme social, à s’exprimer. Et grâce par laquelle, au-delà de tout pouvoir humain, la philosophie fait référence à l’Autre absolu comme celui qui, seul, fera reconnaître à tous le savoir philosophique. Grâce impliquée dans le concept d’être, et plus explicitement dans celui d’histoire — puisque l’histoire ne s’accomplira que quand tous auront reconnu le savoir dont se réclame la philosophie.
      2. Et la philosophie s’établissant comme savoir par la grâce détermine alors la mesure, la mesure vraie, essentielle, selon laquelle le don et la grâce doivent être dispensés. Cette mesure que proclame, mais hors objectivité reconnue, Lévinas lui-même, quand il dit de la philosophie qu’elle est « cette mesure apportée à l’infini de l’être-pour-l’autre de la proximité, et comme la sagesse de l’amour »(35). Cette mesure qui est tout simplement — je serai ici très bref — le droit, pour lequel la relation psychanalytique est, selon moi, le modèle.

Je terminerai par le savoir philosophique, puisqu’il nous faut encore montrer qu’il est bien la solution pour l’altérité, et de l’Autre fini, et de l’Autre absolu.

  1. A. D’abord le savoir philosophique en soi. Car le savoir philosophique doit tenir compte de toutes les objections de l’Autre fini, et cela le caractérise comme savoir philosophique en soi.
    1. 1) L’affirmation du savoir philosophique en soi est effectuée par la philosophie quand celle-ci pose l’œuvre — mais une contradiction là encore est impliquée, qui se manifestera.
      1. a) Car c’est dans l’œuvre que le sujet fini reconstitue le principe, fait jusqu’au bout, jusqu’au principe, l’épreuve de la finitude radicale résultant de la relation à l’Autre, l’épreuve de l’existence. Œuvre très souvent évoquée dans La philosophie comme savoir de l’existence, et définie par nous comme chose et en même vérité, comme la Chose originelle reconstituée dans l’espace de l’objectivité, pour l’Autre auquel elle donne sa grâce, afin qu’il recrée à son tour le principe — où nous rejoindrions en quelque manière Lévinas et son an-archie. Lévinas certes a commencé par souligner le négatif de l’œuvre : fascination devant l’œuvre faite, comme masque ou encore façade (« Quand on comprend l’homme à partir de ses œuvres, il est plus surpris que compris. Sa vie et son travail le masquent… S’exprimer par sa vie, par ses œuvres, c’est précisément se refuser à l’expression »(36)). L’œuvre serait ce qui, de l’homme, est entraîné dans le commerce et l’échange ; vouée, « dès son origine en moi », à une « Sinngebung étrangère », elle serait, en cela, un « acte manqué »(37). Il a dû cependant reconnaître la vérité première de l’œuvre, comme œuvre en train de se faire, ce qu’il appelle l' »œuvre de l’expression » (si « la production atteste l’auteur de l’œuvre en l’absence de l’auteur, comme plastique »,c’est « contrairement à la transcendance de l’expression dans laquelle l’être qui s’exprime assiste personnellement à l’œuvre de l’expression »(38)). Mais il lui eût fallu aller jusqu’à reconnaître la justesse de l’analyse structurale de Heidegger, et de ce que celui-ci dit du Quadriparti (certes à propos de la chose, et non pas de l’œuvre — mais Heidegger, comme nous, pourrait dire que l’œuvre, c’est la chose posée dans l’espace de l’objectivité, du pour-l’Autre). Car le mouvement d’épreuve de la finitude trouve un premier achèvement dans le quaternaire de l’œuvre, et de l’existence qui est en elle posée. Quaternaire, pour autant que le fini aura fait l’épreuve de sa finitude radicale comme rejet de l’absolu, du Ternaire qu’est l’absolu, et s’établira enfin dans l’identité à lui offerte, de créature. Encore le fini est-il alors simplement supposé avoir revoulu sa finitude tout entière, et donc avoir reconnu au Ternaire absolu toute sa vérité. Simple supposition, de sorte que le quart terme n’est pas forcément le terme ultime.
      2. b) Mais une contradiction est alors impliquée. Car le fini toujours d’abord refuse l’œuvre vraie, et s’arrête à une œuvre fausse, et avant tout au monde social traditionnel comme prétendue œuvre — et là la réticence de Lévinas devant l’œuvre en général serait justifiée. Monde traditionnel qui rejette de son sein toute œuvre vraie. Et qui est ordonné, non plus selon le quaternaire vrai, mais selon celui de l’analogie, où règne le mythe de la complémentarité des sexes. Ainsi pour le « mythe d’Oedipe interprété à l’américaine » selon Lévi-Strauss : « La surévaluation de la parenté de sang est, dit-il, à la sous-évaluation de celle-ci, comme l’effort pour échapper à l’autochtonie est à l’impossibilité d’y réussir »(39). Monde traditionnel où la finitude radicale est rejetée sur la victime du sacrifice.
    2. 2) La contradiction apparaît quand on s’établit dans le travail requis par l’œuvre, et notamment par l’œuvre qu’est le savoir, et qu’on dégage le savoir philosophique, non plus comme œuvre, mais comme histoire.
      1. a) Car le travail requis par l’œuvre s’accomplit de la place de celui qui serait le sacrifié du monde traditionnel (ou encore l’exclu de l’œuvre, même vraie, car le fini toujours d’abord la fausse, et s’éprouve comme un tel exclu). Cinquième terme qui marque la finitude radicale, le non-sens, non pas certes du quaternaire en soi, mais du quaternaire dans ce qu’il est devenu en fait pour le fini, le quaternaire de l’analogie. Cinquième terme qui reveut absolument cette finitude radicale, et qui est donc en soi principe absolu. C’est ce cinquième terme que dégage Lévi-Strauss quand il parle du trickster de la mythologie des Indiens d’Amérique du Nord (trickster, c’est-à-dire tricheur, celui qui ne joue pas le jeu, qui est à la fois homme et femme, etc.) et qu’il le présente comme le « médiateur » ou le « messie »(40). Et le travail est alors porté, au-delà de la grâce où l’on n’est appelé expressément à rien, par l’élection où l’on assume l’appel de l’Autre d’avoir à reconstituer, soi, la loi vraie. Election dont Lévinas a dégagé, à partir du judaïsme, tout le sens universellement humain (« C’est l’apanage de la conscience morale elle-même. Elle se sait au centre du monde et pour elle le monde n’est pas homogène : car je suis toujours seul à pouvoir répondre à l’appel, je suis irremplaçable pour assumer les responsabilités. L’élection est un surplus d’obligations pour lequel se profère le Je de la conscience morale »(41)). Par l’élection, et tant que dure le travail de l’œuvre, on se rapporte à tout autre sujet humain comme visage auquel on doit répondre en devenant soi-même visage. On est alors voué à l’obsession par l’Autre, obsession qui est elle-même persécutrice (« Obsession par autrui – ou maternité… L’obsession n’est pas conscience, ni espèce de conscience, ni modalité de la conscience, bien qu’elle bouleverse la conscience qui tend à l’assumer : inassumable comme la persécution »(42)), et qui détourne de toute reconstitution de l’ordre sacrificiel dont l’Autre serait la victime. Et le travail de la cure n’est rien d’autre qu’un tel travail de l’œuvre ouvert à chacun par le discours psychanalytique — le patient en analyse devant entrer dans l’élection, et l’analyste devant lui en ouvrir ou réouvrir l’espace (par une certaine image de soi), pour que le travail analytique se fasse effectivement. Mais ce travail de l’œuvre où l’on se rapporte à l’Autre comme visage est toujours mesuré par le fait qu’il se fait à partir du masque et vers l’œuvre comme accomplissement du masque. Et c’est ainsi que se déploie l’histoire, individuelle et, suprêmement, universelle. Histoire comme œuvre dans laquelle il faut, aux quatre temps primordiaux, en ajouter un cinquième. Je renvoie sans plus ici aux cinq époques de l’histoire distinguées par Heidegger dans La parole d’Anaximandre.
      2. b) Mais la contradiction apparaît. Car le fini toujours d’abord fait de l’élu, de l’Autre comme visage, du Messie, la victime par excellence. Et celui qui s’est engagé explicitement dans l’élection conforte cette répétition de l’ordre sacrificiel, s’il prétend ne pas pouvoir s’assurer objectivement que l’œuvre sera reconnue, et l’histoire elle-même enfin accomplie, et la Terre Promise enfin foulée. Autant on doit suivre Lévinas quand il dit que « l’œuvre n’est possible que dans la patience, laquelle, poussée à bout, signifie pour l’agent : renoncer à être le contemporain, agir sans entrer dans la Terre Promise »(43), autant on peut douter que l’agent n’ait pas à s’assurer objectivement que la Promesse s’effectuera.
    3. 3) La contradiction est alors reconnue et résolue par la position en propre du savoir philosophique, non plus comme œuvre, ni comme histoire, mais comme savoir, savoir effectif.
      1. a) Car le cinquième terme, celui qui mène le travail historique de l’œuvre, ne reveut absolument la finitude radicale, dont il dénonce la dissimulation dans le quaternaire traditionnel de l’analogie, que pour autant qu’il s’efface comme terme ultime au profit d’un autre, d’un sixième terme. Sixième terme dans lequel est répété, et enfin accueilli dans sa vérité, le Ternaire absolu, d’abord rendu abstrait et faux par le fini. Sixième terme qui, posé par un acte, non plus de grâce, ni d’élection, mais de foi, est le terme ultime du savoir. Où nous rejoignons ce que Rosenzweig, dans L’étoile de la rédemption, a définitivement dégagé comme structure sénaire, doublement ternaire, de la vérité, et comme visage même, et de Dieu, et de l’homme : « L’Étoile de la Rédemption est devenue visage qui me regarde et à partir duquel je regarde »(44). Sauf que ce sénaire, ce double ternaire, l’Étoile de David, est aussi, pour nous, celui du savoir rationnel pur de la philosophie. Lors d’une conférence récente intitulée « 1, 2, 3, 4, 5, 6 », j’ai voulu, de cette structure sénaire (que j’ai montrée présente chez Schelling certes, dont se réclame volontiers, contre Hegel, Rosenzweig, mais aussi chez Hegel lui-même, et jusqu’à Heidegger et Lacan), établir la rationalité. Car ne manque, chez Rosenzweig, que le caractère purement rationnel, et non plus simplement historique, de la méthode spéculative, conforme au ternaire absolu. Au moins Rosenzweig a-t-il déjà lui-même dirigé vers ce que j’ai proposé dans La philosophie comme savoir de l’existence, en définissant tous les termes, tous les concepts de ce savoir de l’existence, par une dualité qui, pour Rosenzweig comme pour moi, doit devenir contradiction, jusqu’à la résolution finale.
      2. b) Mais cette solution dans le savoir aura beau avoir tenu compte de toutes les objections qu’avance l’Autre fini, elle dépend toujours, imprévisiblement, de l’Autre absolu qui seul peut assurer au savoir philosophique la reconnaissance universelle qu’il veut. Et cependant la « révélation » alors requise doit pouvoir être entièrement déterminée comme rationnelle dans le savoir. Ce que nous allons esquisser maintenant pour finir.
  2. B. Enfin donc le savoir philosophique pour soi. Car le savoir philosophique ne peut pas simplement avoir tenu compte en soi de toutes les objections de l’Autre fini, il faut en plus qu’il puisse se poser pour soi comme savoir, c’est-à-dire se poser comme savoir universellement reconnu, fût-ce de manière simplement implicite. Et cette reconnaissance sociale dépend de l’Autre absolu, et de la révélation qu’il aura faite de soi, pour montrer qu’il n’est pas l’Autre absolu faux auquel les hommes s’arrêtent d’abord — le Surmoi, dira la psychanalyse.
    1. 1) L’affirmation du savoir philosophique pour soi est effectuée par la philosophie quand elle reconnaît la vérité de la révélation chrétienne, du christianisme.
      1. a) Car le christianisme est religion de la grâce. Et donc religion qui rend acceptable socialement ce qui avait été introduit en Grèce par la philosophie : l’exigence de justice, et la mise en question du système sacrificiel, le sacrifice étant maintenant dénoncé comme haine contre Dieu, et néanmoins pardonné, pour autant qu’il se réduit à sa forme minimale, dans la sexualité. Et religion alors qui, par la Trinité, pose dans le monde social l’objet du savoir philosophique, le ternaire absolu de la méthode spéculative, et qui devrait dès lors permettre de déterminer objectivement cette justice vers laquelle le monde social se dirige. Le monde chrétien est, en cela, monde historique. La « voie éternelle », dit Rosenzweig, par laquelle le païen devrait peu à peu s’arracher à son paganisme. Et Lévinas nous semble rejoindre cette dimension politique du christianisme quand il dit : « Trahison de ma relation anarchique avec l’illéité, mais aussi une relation nouvelle avec elle : c’est grâce à Dieu seulement que, sujet incomparable à Autrui, je suis abordé en autre comme les autres, c’est-à-dire “ pour moi ”. Le passage de Dieu dont je ne peux parler autrement que par référence à cette aide ou à cette grâce est précisément le retournement du sujet incomparable en membre de société »(45).
      2. b) Mais une contradiction est alors impliquée. Car si la grâce alors dispensée permet au christianisme de se répandre parmi les nations, c’est parce qu’elle n’appelle expressément à rien ; et une telle grâce, on l’a vu, peut être faussée. Et certes, dans l’histoire, un progrès dialectique peut être constaté, et un effectif mouvement vers la justice. Mais le christianisme en fait ne peut pas, par lui-même, triompher de l’entraînement vers la violence sacrificielle, qui se répète sous d’autres formes. Jusqu’à sa forme suprême, absolue, dans l’Holocauste, contre le peuple qui exprime dans l’histoire l’exigence pure de l’esprit. D’où ce que dit Lévinas de l' »insuccès du christianisme sur le plan politique et social »(46). Et encore ceci que l’« expérience unique du renouveau de l’antisémitisme ayant abouti à l’extermination scientifique du tiers de la judaïcité par le national-socialisme » est, pour lui, le premier des « trois grands événements, dont l’ombre se projetait déjà sur l’Europe avant qu’ils surviennent », et qui « constituent aujourd’hui pour la pensée juive les données de la nouvelle situation »(47).
    2. 2) La contradiction se manifeste quand il semble que la philosophie puisse enfin se poser comme savoir universellement reconnu, précisément quand le monde historique comme monde chrétien reconnaît la vérité de la révélation juive, du judaïsme.
      1. a) Car le judaïsme est religion de l’élection. Et certes, comme tel, il ne peut d’abord obtenir la reconnaissance universelle, et se diffuser parmi les nations. Au contraire, il se concentre alors dans un peuple séparé des autres, au point de devenir la victime par excellence du système sacrificiel se répétant dans le monde chrétien, jusqu’à l’Holocauste. Mais, après l’Holocauste, le monde chrétien ne peut pas rester lui-même sans reconnaître la vérité éternelle du judaïsme, et adopter l’élection juive. L’Holocauste est en effet pour lui la répétition, sur le peuple juif, du sacrifice du Christ comme haine des hommes contre Dieu, haine toujours détournée sur la victime, et primordialement sur l’élu. C’est-à-dire sur quiconque, ayant accueilli l’élection, s’est engagé dans l’éthique et le travail de l’œuvre. Le peuple juif est en cela, parmi les peuples, le modèle humain par excellence de tout individu. Le modèle pour l’œuvre qui a à être accomplie, mais avec, comme le dit Lévinas, la « disposition au sacrifice involontaire », l' »exposition à la persécution »(48) que cette œuvre implique. Par la révélation juive ainsi reconnue finalement dans le monde historique comme monde chrétien est alors posé socialement, outre l’objet du savoir philosophique, le sujet de ce savoir — le moi qui reconstitue, par sa raison, toute vérité. Et, en même temps que cette reconnaissance, par le monde chrétien, du judaïsme, se produit la reconnaissance, par le peuple juif, du christianisme, et de ceci qu’aucun humain ne peut être le Christ. De là la fondation de l’Etat d’Israël et, comme le dit Lévinas, l' »acceptation désormais irréversible », par le peuple juif, « de l’histoire universelle »(49). « Les aspirations sionistes qui ont abouti à la création de l’Etat d’Israël » étant, pour Lévinas, le deuxième des trois grands événements dont nous avons parlé. Vérité éternelle, dit Rosenzweig, toujours à la fois chrétienne et juive. Je dirais quant à moi, gardant le terme de voie pour le christianisme, « vérité éternelle » du judaïsme, vers l’étoile de laquelle se dirige la voie chrétienne.
      2. b) Mais la contradiction se manifeste. Car si l’élection ainsi reconnue sur fond de la grâce permet la position sociale du savoir philosophique dans son objet (christianisme) et dans son sujet (judaïsme), l’élection suscite toujours le même rejet de la part du sujet fini qui, d’abord, ne veut entrer, ni dans l’œuvre, ni dans l’histoire, ni dans le savoir. Rejet qui se marque dans tout le monde contemporain, mais éminemment dans le conflit né de la fondation de l’Etat d’Israël. Le troisième grand événement étant précisément, selon Lévinas, « la venue sur l’avant-scène de l’histoire des masses sous-développées afro-asiatiques étrangères à l’Histoire Sainte dont est issu le monde judéo-chrétien ».
    3. 3) Cette contradiction est reconnue, et la philosophie devient enfin effectif savoir pour soi, quand elle affirme, au-delà de celle des révélations chrétienne et juive, la vérité de la révélation islamique, de l’islam.
      1. a) Car l’islam est religion de la foi. Et comme tel il est certes d’abord ce à quoi s’oppose la volonté philosophique d’un savoir rationnel pur, volonté qui veut faire histoire, et à laquelle la foi apparaît alors comme croyance illusoire, fondamentalement superstitieuse. Mais il y a une légitimité à refuser la rupture qu’implique l’histoire, et à s’arrêter à ce que l’histoire met en question : la communauté, et le monde traditionnel. Légitimité parce que le sujet fini sera toujours membre d’une communauté. De sorte qu’il faut simplement, pour l’histoire et pour la philosophie, que cette communauté soit juste ; et elle le sera — laissant place à la rupture que l’individu doit certes accomplir —, si elle est portée par la foi véritable, et ordonnée selon la loi de l’Autre absolu vrai. Or l’islam, qui veut assumer les révélations juive et chrétienne et s’attacher néanmoins à la communauté avant tout, a en lui cette vérité de la foi. Et il est décisif, pour que la Promesse puisse s’accomplir, et que le monde juste puisse être ouvert à chacun comme il doit l’être, que cette vérité soit reconnue. Ce que ne faisait pas Rosenzweig — mais il avait ses raisons, qui sont celles même, d’abord, du monde historique. Ce que Lévinas reproche à Rosenzweig de ne pas faire, et ce vers quoi lui-même il dirige. C’est pour l’islam comme religion de la foi, et comme superstition au sens le plus vrai, superstition des superstites, des survivants, gardant mémoire de ceux qui les précédèrent, que je réserverai, face à la « voie éternelle » du christianisme et à la « vérité éternelle » du judaïsme, le terme rosenzweigien de « vie éternelle ». Islam qui est alors ce qui pose dans le monde social, non pas l’objet du savoir philosophique, ni son sujet, mais son Autre, cet Autre qu’est la religion et qui lui permet d’être reconnu.
      2. b) Et ce n’est certes pas parce que, après celles du christianisme et du judaïsme, la vérité de l’islamisme aura été proclamée par le savoir philosophique, que le monde juste, qui sera devenu effectif monde juste, ne sera plus un monde de conflits, et même de conflits qui pourront rester non résolus. Mais toutes les conditions du dialogue, de l’accueil de l’Autre, auront été en tout cas données. Concluons avec Lévinas, pour lequel « c’est parce que les monothéismes ont fait entendre au monde la parole du Dieu Un que l’universalisme grec peut opérer dans l’humanité et l’amener lentement à l’union » — le « pouvoir monothéiste » étant « de rendre à l’homme supportable l’autre homme et d’amener l’autre homme à répondre ». Lévinas pour lequel l’islam « est avant tout l’un des facteurs principaux de cette constitution de l’humanité »(50).