Un acte de reconnaissance
paru dans la revue Sens, octobre 2020.
A propos du livre d’Alain Juranville, La fin de l’histoire, épiphanie des religions. Acte psychanalytique et acte philosophique, Éditions Parole et silence, 2019.
L’époque actuelle est sans doute la plus difficile à lire. Le temps est bien loin où les disputes théologico-politiques se résumaient à quelques termes et dans des espaces assez bien localisés. On citerait spontanément Athènes, Sainte-Geneviève ou Port-Royal. Depuis la fin de la première Guerre mondiale le monde semble en crise semi-permanente, et depuis 1989 les frontières culturelles et cultuelles sont éclatées. Comme dissoutes dans le grand bain de la mondialisation.
Qui oserait aujourd’hui prétendre apporter une vision structurée, systématique, raisonnée et pleine de sens, à l’histoire et aux relations inter-religieuses de notre époque ?
Le dernier livre d’Alain Juranville, comme l’indique son titre, l’ose.
C’est une heureuse surprise, un livre clair, lumineux, épuré de tout jargon, rédigé dans une langue fluide, l’auteur toujours soucieux de s’exprimer, comme nous l’avons déjà souligné ailleurs1, dans la plus grande simplicité, qui ne cède en rien à la rigueur.
C’est aussi un livre empli d’optimisme et d’espérance, qui affirme tant la possibilité (et l’effectivité, en acte !) de la reconnaissance mutuelle des religions, dans leur épiphanie.
Ce livre défend l’idée qu’un acte historique a lieu aujourd’hui, qui en marque la fin. Un acte qui présente en raison les grandes religions du monde. Au premier plan duquel le judaïsme et le christianisme. Une présentation de leur sens historique respectif, entraînant la réconciliation des peuples qui les portent et les installe dans la paix perpétuelle.
Ceci avancé, Juranville n’est pas naïf. C’est même, inversement, parce que la philosophie ne l’a jamais été aussi peu, qu’un accomplissement de la fin de l’histoire est possible. La thèse de Juranville est la suivante : la clinique psychanalytique, depuis Freud, a apporté l’essentiel du savoir sur le mal dont souffre l’individu (névrose, psychose, perversion…) Reprenant ce savoir, l’éclairant par la théologie, il y lit les différentes sortes de refus de la révélation, de la parole de Dieu en chacun. Allant, Juranville tente de montrer comment judaïsme et christianisme peuvent ne plus se refuser leur vérité mutuelle.
L’essentiel est là : défendre que depuis le 14 mai 1948 et la création de l’État d’Israël, une réconciliation finale, théologico-historique, est en marche. Réconciliation et paix qui impliquent, d’une part, que le christianisme reconnaisse la vérité, première dans l’histoire, de la révélation juive ; d’autre part, et en retour, que le peuple juif reconnaisse la vérité du christianisme, sa place légitime dans l’histoire et pour accomplir l’histoire. Conditions respectives nécessaires pour que chacune atteigne sa pleine vérité. Épiphanie des religions, donc.
Ainsi s’illumine d’optimisme et d’espérance ce beau livre courageux. Juranville affirme qu’aujourd’hui ces conditions sont réunies au travers de la création de l’État d’Israël. Israël aujourd’hui, avec ses institutions, ses frontières et ses difficultés internes, politiques, économiques, sociales, affronte sa finitude et articule sa vie à celle des autres peuples et des autres cultures. Quant au christianisme, au travers de cette même création (qu’après l’Holocauste il a voulue et soutenue), il reconnaît diplomatiquement la légitimité de ce peuple. Et implicitement la vérité religieuse que ce peuple porte en lui.
Ce livre défend donc enfin que la paix dans la cité des hommes est atteinte, paix essentielle, qui n’interdit nullement, mais au contraire assume les inéliminables conflits en son sein ; une cité et un monde faits de tensions et de crises, un monde réaliste, qui ne sait qu’une chose, dans sa justice : éviter le pire, la guerre et les sacrifices humains.
Jean-Marie Vidament,
philosophe et psychanalyste