Deux événements déterminants de l’histoire (dont l’analyse est ici entamée, deux volumes suivront qui la compléteront) : d’une part l’événement initial qu’est le sacrifice du Christ qui rend acceptable à tous les hommes, contre le système sacrificiel du paganisme, un monde du droit où l’individu ait sa place ; d’autre part l’événement terminal qu’est la révolution par quoi un tel monde est définitivement accepté, révolution non pas comme le veut Marx d’abolition, mais d’institution du capitalisme en tant que forme minimale du paganisme.
La discussion est menée avant tout ici avec Kierkegaard et Marx, mais on y rencontre bien d’autres auteurs majeurs, dont Hegel, Schelling, Nietzsche, Rosenzweig, Max Weber, Benjamin, Heidegger, Lacan, Lévinas, Adorno1.
L’événement est envisagé d’abord comme fait. Le fait, c’est l’événement quand le sujet humain, l’existant, en a tiré toutes les conséquences, quand, à l’appel que l’événement lui adresse, il a répondu. Comme on peut le voir dans la formule de Rosenzweig selon laquelle « le peuple juif repose sur un fait, qu’il constitue lui-même », alors que « la communauté chrétienne se soutient de l’événement autour duquel elle se rassemble ».
L’événement est envisagé ensuite comme occasion. L’occasion, c’est l’événement en tant qu’il a surgi comme appel pour l’existant et qu’il lui ouvre des possibilités nouvelles. Ainsi, pour Kierkegaard, à propos du sacrifice du Christ, « le maître est le dieu lui-même qui, agissant comme occasion, amène le disciple à se souvenir qu’il est la non-vérité et qu’il l’est par sa seule faute. Cet état, appelons-le péché » et, en même temps, « quand le disciple est la non-vérité, mais est pourtant homme, et qu’il reçoit la condition et la vérité, alors il devient un homme nouveau ».
L’événement est envisagé enfin comme rupture. La rupture, c’est l’événement en tant qu’il surgit. C’est le sacrifice, le véritable, celui, par excellence du Christ, qui met en question radicalement le sacrifice faux, la violence sacrificielle contre l’individu, laquelle caractérise le monde païen. Et c’est aussi le savoir, quand l’individu peut récapituler à partir de soi toute la vérité, avec la non-vérité constitutivement humaine, le savoir qui fixe la seule révolution qui vaille, la révolution instituant le capitalisme comme paganisme minimal.